Le Chevalier Damné

Dans cette nuit noire, un épais manteau de neige s'est déposé sur ce sol verdouillant. Le bruit de la ville semble être étouffé, drapé par cette blancheur. Dans un manoir, au beau milieu de ces rues étroites, une lumière perce l'obscurité. On ne peut distinguer que quelques silhouettes qui s'affairent dans la batisse. Alors que le froid persiste sur cette île, l'intérieur chaleureux de cette demeure dénote. Un pleur, puis un deuxième, dans cette nuit gelée, le temps s'est arrêté pour cette famille, les Sùdrach. Eux qui de longues années durant, tentèrent d'enfanter, semblaient enfin être touchés par la grâce. Un fils, un enfant bien portant, qui s'époumonait pour se faire entendre. Cette famille qui se pensait damnée, allait elle aussi pouvoir couler des jours heureux et gouter aux joies d'avoir un enfant.

Dix années passèrent et le sort sembla à nouveau s'acharner sur les Sùdrach. Alors que l'enfant unique de la famille rentrait de l'école, il eu la désagréable surprise de rentrer dans un manoir vide de vie. Ses parents étaient pourtant censés rentrer de leur voyage le jour même. Un retard, une envie de prolonger les vacances ? Tomas ne s'inquiétait pas, il arrivait souvent que ses parents le laisse seul avec sa gouvernante. Alors qu'il passait à table on tambourina à la porte. Qui pouvait bien venir à cette heure avancée ? Alors qu'il s'empressait de finir son souper, Tomas détourna furtivement le regard vers l'entrée. Deux hommes, habillés de noirs se tenaient debout, leur drôle de chapeau à la main. Dix ans et déjà confronté à la perte de l'être aimé. Une décennie et le voilà seul face à un monde cruel. Un monde qui n'a que faire de la faiblesse et de la sensibilité de l'autre, que faire quand on est un enfant et que l'on se retrouve seul dans ce manoir bien trop grand ? Fort heureusement, un oncle, aussi éloigné qu'inconnu se porta rapidement garant de l'éducation du jeune Tomas. Il faudra de longues semaines, de longs mois pour que les douleurs du coeur et de l'âme ne s'estompent. Un enfant submergé par les problèmes de la vie, un enfant forcé de murir bien plus vite que les autres.

Bien que la vie eût été des plus cruelle avec ce garçon, la majorité vint toquer à la porte d'entrée du manoir Sùdrach. Le garçon fragile, triste, peu sûr de lui avait maintenant fait place à un homme au charme indégniable. Ce garçon semblait comme avoir été effacé. Le jeune homme qui se tenait sur le seuil de la porte avait une allure athlétique, sûr de lui, souriant, bien que drôlement marqué. Quelques années passèrent, les joies de l'indépendance, les hésitations de la vie de jeune adulte, les incertitudes quant à son avenir firent petit à petit place au banc de la faculté, puis à l'internat dans un hopital de l'île. Aujourd'hui ce petit garçon de dix ans semble n'être qu'une ombre dans la nuit. Tomas est maintenant un homme qui compte, un homme qui fait le bien. Cet orphelin consacre sa vie aux autres, à les guérir physiquement, mais aussi psychologiquement.

Un métier dans lequel il s'épanouit. Une profession qu'il porte de son coeur. Lui qui n'a pas eu la chance de pouvoir faire grand chose pour ses parents, compte bien prendre soin de son prochain; prendre soin de sa communauté. Il ne s'estime pas être irremplaçable, mais aime passer du temps avec ses patients. Aujourd'hui, comme hier et comme demain, il ne cessera de tout donner lors de ses gardes dans l'hopital de l'île. Sa vie privée n'est pas aussi gaie que sa vie profesionnelle, mais il n'en a que faire. Après tout, cette malchance qui frappe sa famille semble le poursuivre. N'aurait-il pas pu tomber amoureux d'une femme solitaire, d'une femme qui n'avait encore prêté serment face à l'autel ? Non, lui le dernier descendant de la famille Sùdrach s'est amouraché d'une femme dont l'annulaire gauche est déjà pris. Une femme qui tout aussi aimable soit-elle, n'avait qu'un homme dans sa famille et cet homme n'est et ne sera sûrement jamais le médecin que Tomas est.