— LE MALÉFICE —

LE SORT NARRATION
Jamais un être n'avait été plus envoûtant et sibyllin que l'étrange diable abreuvant ses comparses d'une promesse bien alléchante. Massés autour de l'âtre, dans lequel crépitent les quelques braises laissées là pour éclairer leur tanière, les cinq larrons ne prêtent guère attention au vent boréal, et annonciateur de bien de malheurs, qui mugit au-dehors. Leur attention converge sur ce même orateur dont la verve s'anime à mesure que ses gestes s'accumulent au-dessus du parchemin, dont la texture se noircit au fil du temps. Tous retiennent un souffle extatique dans l'attente d'un dévouement ô combien glorificateur. En cette soirée hiémale, là où l'éther règne en tant que régent, le premier acte d'un tout nouveau conte s'écrit à la lueur de l'astre sélénite. Tous sont animés par cette hargne commune et aussi tangible que la poussière que soulèvent les bourrasques au sein de leur barricade laissée à l'abandon.

L'un au regard azurite, laisse une litanie emplie de piété s'élever jusqu'aux cieux, alors que son voisin bascule de tout son poids d'un pied sur l'autre, se délectant déjà du pouvoir que son futur statut lui promulguera. Les figures féminines quant à elles sont plus pudiques dans l'exhibition de leurs émois, la plus jeune frémit d'un plaisir coupable à l'idée de goûter un grain de peau jusque-là prohibé. Tandis que son pendant plus âgé étouffe une complainte inespérée contre ses lèvres frémissantes, cette attente étant le dernier supplice à supporter avant que son vœu le plus cher ne soit enfin exaucé.

Tous trépignent comme un seul homme, tous lorgnent d'un regard fiévreux l'être s'illustrant comme un salvateur inopiné. Cette figure onirique dont les cauchemars d'autrui tapissent sa boîte crânienne chaque fois que le soleil termine sa course dans la lagune du pays des contes. Lui aussi, en son for intérieur, espère trouver une once d'empyrée tout comme ceux qui sont ce soir des alliés. Lorsque enfin chacun opine du chef et d'un accord, tacite et silencieux, conclut le rituel en apposant leurs patronymes au bas de la page, une accalmie s'abat soudain sur la région. Comme si la nature elle-même avait... rassasié sa curiosité. Mais avant même d'avoir eu le temps de souffler, voilà qu'un épais nuage sableux s'élève autour d'eux, les plongeant tous dans un sommeil profane.

Une magie familière pour le protagoniste principal de cette tragédie qui n'est autre que le marchand de sable. Observant tour à tour Frollo, Gothel, Jafar et Gretel qui gisent à ses pieds, un sourire mutin s'esquisse à la commissure de ses lèvres. Un échiquier géant vient d'être dressé et chaque pièce prend place contre son gré.

LE SORT EXPLICITÉ
Ritournelle cataclysmique, quel être au destin tragique n'a-t-il jamais tenté de remédier à ce fâcheux fatum en employant procédés douteux et scabreux ? Mais jusqu'à preuve du contraire jamais Aradhan n'avait connu un tel succès en matière de maléfice. Fauchés par la cupidité d'une troupe de mauvaise fortune, tous se retrouvent sur cette île où pluie diluvienne succède sans fin à une brumaille quasi sépulcrale. Bien qu'à l'instant terrassé par ce sombre dessein, chacun est convaincu de n'avoir connu que Keening Island. Tous mènent une vie rodée au millimètre près, endossant une identité qui diffère de celle qui leur était destinée à leur naissance. Des familles se voient disloquées, des amours périssent avant même les prémices d'une quelconque idylle. Et ce, sans que personne ne le soupçonne. Seuls quatre individus semblent se douter de ce qui se trame à Keening Island, oblitérant sciemment l'un de leurs compagnons qui ne se doute plus un seul instant être à l'origine de ce retournement de situation. Seul le maire au sourire carnassier, le prêtre aux dogmes exacerbés, une femme aux moeurs légères et un homme plus propice à se muer dans la pénombre, savent ce qui se trame en ces lieux. Les seuls certes, mais pour combien de temps ?