drowning in the night

« Tu es la plus belle femme du monde… »

Les mots sont pour toi, le compliment est là, entre deux respirations haletantes et entre deux grognements, ils ont là, ils sont doux et glissent sur ta peau comme un voile qui vient t’envelopper et te protéger. Et, soudainement, le sourire qui passe sur ton expression est réel. Ces mots-là provoquent toujours une réaction chez toi, car ce sont les meilleurs, le superlatif qui te va le mieux et celui que tu n’abandonneras jamais. Pourtant la main qui trouve les mèches de feu n’est pas tendre elle, celle-là et l’autre posée sur ta hanche te cloue pratiquement sur place et tu ne peux quasiment pas bouger. C’est le but de la manœuvre, pour te rappeler ta place, pour te rappeler de quoi le monde est fait et l’ordre des choses. Chaque coup de hanche est là pour que tu te souviennes de ta condition de vulgaire poupée de chair, de simple petit plaisir pour ceux qui peuvent se le permettre et un fantasme vivant et parlant. Pas beaucoup de mots, des intonations et des gémissements calculés, qui quittent tes lèvres de manière convaincante, car c’est la performance de toute une vie que tu réalises.

Tu pousses un autre cri, qui se veut appréciateur, qui est un appel à plus et tournes la tête sur le côté, pour puiser une goulée d’air et pour poser ton regard ailleurs que sur les draps que tu devrais vraiment changer. Tes yeux ne se posent pas sur lui et ce malgré l’angle formé par ta nuque, en apparence, c’est le client que tu regardes, toujours, car s’il y a bien une chose qui rend les hommes complètement fous c’est qu’on admette la défaite devant eux et qu’on abandonne. Ça précipite généralement les choses et ils perdent leurs moyens… Comme de vulgaires idiots. Et après, on croit que tu n’es qu’une simple petite poupée silencieuse.

Non, c’est le plafond que tu fixes, l’esprit ailleurs, te concentrant sur autre chose, quittant presque ton propre corps et laissant ta chair endurer les tracas de la vie quotidienne. Tu n’es pas là, pas quand les derniers relents d’innocence sont partis et tu songes à ta mère, qui roulerait des yeux si elle savait que ces prédictions étaient justes, que la petite dernière vend son corps et que ça rapporte. Cela l’énerverait de te voir confortable, elle jetterait sans doute une autre assiette dans ta direction et t’enfermerait dans le placard sous l’escalier. Et tes quatre sœurs ne diraient absolument rien, certaines que tu le mérites, dommage que la seule qui pouvait vraiment te comprendre ait été mise en terre quand tu étais encore jeune. Les seules vraies larmes que tu n’as jamais versées ont été pour Freja.

Tu songes au paternel, qui est apparu ce jour-là, votre dernière entrevue, avant que tu finisses par bruler son portrait à lui aussi, convaincue que ce n’était qu’un connard, qui a séduit sciemment une pauvre femme, lui a scié le bas ventre en deux et l'a forcée à porter ses gosses. Pas toi, tu te couperas toi-même le ventre en deux avant de porter la vie.

Tu songes un instant à Sappho, te demandes si tout ça fait avancer ses plans, qu’un énième idiot découvre la vie entre tes cuisses, probablement, on avance petit à petit pas vrai ?

Et puis… Quelque part… tu es sur les côtes de l’ile, à rêver d’une vie loin de tout ça, à plonger encore une fois dans l’eau glacée et à nager, nager jusqu’à ce que tes membres soient complètement engourdis, nager jusqu’à ce que l’eau finisse par pénétrer par tes poumons et prenne ses droits sur ton enveloppe charnelle.
Ce seraient alors les vagues qui se chargeraient de recracher ton corps ailleurs, sur un autre continent, dans une autre vie.